L'écolier et le bourgeois
Au coeur des méandres déconcertants des fables
Il est de ces rencontres étrangement improbables
Qu'une muse quelque peu audacieuse propose
Et dont l'écrivain candide sans scrupule dispose
Ainsi, bien mal avisé le critique pugnace
Qui déjà est-il peut être paré à occire
La pertinence de cette pourtant légère satire
Alors qu'il acquiescera d'emblée que des bêtes parlent
Maintenant que nous voilà tous forts savants
Abordons cette fable, laquelle nous intrigue tant
Ce rendez-vous anachronique mettant en scène
Deux protagonistes des plus révolutionaires
Le très fougueux écolier utopiste boudeur
Et le roturier de dix sept cent quantre-vingt-neuf
"Mon bon jeune homme, vous me semblez fort indigné
Arborant suffisance ainsi que rouge carré
Dites-moi qui êtes-vous, qui est votre ennemi?
Peut-être serions-nous frères d'armes mon bon ami"
"Je suis un fier combattant de la liberté
Mon ennemi est l'opulence d'une minorité
Education gratuite voilà ma sommation
Aux riches de payer pour ma précieuse instruction"
"Ainsi dans votre siècle la liberté git
Bafouée par de vils privilégiés richissimes?
Dites-moi par quels moyens s'esquissent vos prétentions
Et à quels périls s'expose votre rébellion"
"Bouder l'éducation, voilà une bonne affaire
de paralyser un système qui coûte fort cher
Bloquer écoles ensuite ponts et avenues
Et faire du citoyen une mèche qu'on allume
Désordre orchestré, sabotage du quotidien
Point de sang versé, sinon juste un peu du mien
Taquiner le constable et courtiser les gnons
Du reste point de danger, des droits nous avons"
"Vous en prendre au bon peuple, n'est-ce pas là délirant?
En quoi peut vous servir cette grossière ineptie?
Sans doute êtes-vous ceinturé d'alliés très puissants
Pour ainsi laisser place à cette stérile anarchie"
"Sot et oisif, le bon peuple ne comprend pas
Ce que nous les élites intruites voyons sans peine
Pour le guider avons créé les syndicats
Pour le dégrossir l'abreuvons du fil de presse"
Prisonnier de subtiles chaînes qu'il n'aperçoit guère
Le peuple docile a besoin qu'on le libère
Depuis le berceau, ainsi nous a-t-on formés
Maintenant vivement qu'on récolte ce qu'on a semé
L'ère du capitalisme n'a que trop duré
Toute autre option jamais ne saurait être pire
Sus aux corporations, marchandeurs et banquiers
Habiles qui dérobent les prémices de notre avenir"
"De nous deux vous êtes le plus moderne
Mais vous me devinez moins bien que je ne vous cerne
Ouvrir vos livres vaudrait mieux que les bouder
Car je vous assène que je suis banquier
C'est le siècle des lumières qui nous a unis
Neuf Français sur dix contre le joug despotique
Tant de sang versé au nom de la liberté
Et tant d'encre répandue pour vos billevesées
L'usurpateur de la volonté du bon peuple
Ne triomphera point s'il ne rallie pas son coeur
Certes vos vains malheurs me remplissent d'amertume
Aussi force est-il d'admettre ce qui est juste
A l'évidence mes descendants n'ont pas daigné
Se garder des voies de la féodalité
Nos intentions étaient nobles je vous l'assure
Le temps aura fatalement produit son usure
Je vous confie que je suis bien effondré
Que clergé, bourgeois et maintenant vos syndicats
transcendent les limites de leur légitimité
En laissant le pouvoir mystifier leurs âmes
Désormais la seule vérité qui paraît claire
Vient de la plume de notre éminent Voltaire
De bonheur ou malheur une chose à dire est bonne
C'est que l'un profite à peu, l'autre à personne"